Berlin Based de Vincent Dieutre
Au cours d’une promenade mélancolique dans Berlin, Vincent Dieutre prend acte des mutations de cette ville aimée et de l’Europe, en évoquant le sort des artistes qui y vivent et travaillent. Berlin, depuis la chute du mur, a été le royaume des fêtards et des artistes. Dieutre prend la mesure de ce passé underground qui semble se fondre aujourd’hui dans la gentrification.
Sa voix grave doucement critique nous emporte dans ses pérégrinations autour de la ville. C’est un courant de conscience qui coule en longs travellings depuis les métros et les trams et parcourt cette cité tentaculaire.
Dans les portraits de ses amis artistes et intellectuels « Berlin based », les voix convergent pour faire l’éloge de Berlin, contre Paris qu’il a fallu fuir. Les souvenirs des fêtes mémorables, la liberté, les larges avenues bordées de tilleul où tout semble possible, surtout l’été… En donnant des détails sur leurs vies, ces personnes dessinent une cartographie amoureuse de Berlin. Au travers de ces voix cependant, au-delà de la douceur de vivre, une ligne d’angoisse se fait sentir. Combien de temps durera cette insouciance ?
Le rêve d’une Europe des Lumières, où l’art et la culture seraient rois serait donc désormais impossible ? Quelle est la raison mystérieuse qui pousse ces gens à faire de l’art dans un monde où tout s’écroule ? Berlin qui a su se reconstruire sur les ruines et sur la honte serait-elle en train de s’écrouler de nouveau ? Cette utopie de ville-monde, tolérante et anarchiste, écrin pour les artistes, n’existerait-elle plus dans quelques années ?
C’est une sorte d’organisation du pessimisme que propose Vincent Dieutre, à la manière de Georges Didi-Huberman dans Survivance des lucioles. Bien qu’un certain Berlin soit en voie de disparition, une renaissance est envisageable : elle se niche dans des détails minuscules, des lucioles survivantes, qui ré-enchantent le monde…
Joséphine Jouannais