Trois faces
Dans La Glace à trois faces de Jean Epstein, trois femmes aimant le même homme en dressent un portrait si dissemblable que de l’une à l’autre il en devient méconnaissable, disparaît sous son reflet. Un gros plan des lentilles d’un phare, récurrent, est un autre hommage à Epstein et à ses jeux optiques. Comme chez l’auteur de Finis Terræ, phare trop lumineux, cette lumière trop forte nous renvoie à un point aveugle. Trois Faces juxtapose trois portraits de villes méditerranéennes (Barcelone, Marseille, Gênes), en interroge les similitudes et les différences, l’identité européenne et la dimension frontalière, des joueurs de dominos aux joueurs de cartes, du guidage GPS à l’architecture assistée par ordinateur, du plan esquissé sur un coin de table au relevé des géomètres, des points de vue panoramiques aux touristes maniaques du presse-bouton, du poète catalan à l’urbaniste génois. Ces portraits tiennent parfois de la carte postale. C’est que la carte postale illustre et cache à la fois, elle enrobe et détourne le regard, elle rend le visible invisible : une langue qui se meurt à Barcelone, un centre de rétention introuvable à Marseille, un développement urbanistique virtuel à Gênes, pivot entre l’Europe du Nord et l’Afrique du Nord. D’une ville à l’autre, le film met le doigt sur une même contradiction : des villes de passage et de frontière, carrefours des continents et centres opaques de disparitions. (Yann Lardeau)
Capricci Films
Érik Bullot
Jean-François Priester
Érik Bullot