Selfie, avoir 16 ans à Naples
«Ça parle de la mort », prévient Pietro au seuil du film et d’une chanson qui, dédiée à son cousin mort sous les balles d’un gendarme, lui tirera des larmes. Le film aussi parle de la mort, parce qu’il faut « montrer les choses moches, et pas seulement les choses belles ». Disant cela, Pietro dessine une authentique morale documentaire. Car s’il est à l’image, c’est aussi lui qui tient la caméra, un smartphone ordinaire confié à lui et à son ami Alessandro par Augusto Ferrante. Léguer les moyens du film à ses personnages (ici deux adolescents du quartier de Traiano, à Naples, où la loi du crime les menace aussi sûrement que la misère) n’est pas un geste neuf en soi. Mais comme le suggère le titre du film, sa singularité vient de ce que Pietro et Alessandro se filment à bout-de-bras, toujours dans le cadre en même temps que les événements qu’ils désignent. Cette esthétique du selfie, qui brise les règles de la représentation en léguant au spectateur la place laissée vacante par le filmeur, donne une coloration puissamment tragique au portrait. Car l’innocence triste de ces ragazzi sans avenir, la sentimentalité déchirante de leurs confessions, les jeux candides qui baignent encore leur quotidien désabusé, n’en finissent pas de nous prendre à témoin du désastre qui leur tient lieu d’environnement, et qui semble ici peser sur leurs épaules comme un oiseau de malheur.
Jérôme Momcilovic
Magnéto Presse, CDV Casa delle Visioni, ARTE France, Rai Cinema
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Magnéto Presse