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Un monde flottant

Jean-Claude Rousseau
2021 France 56 min
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Entre pluie et éclaircies, sur les pas d’Ozu dans le Japon d’aujourd’hui, des figures croisées, des rencontres sans paroles… Aussi quelques secousses, un tremblement du sol qui n’interrompt pas le cours du film. Et juste pour faire histoire : l’oubli d’un parapluie dans une chambre d’hôtel.

Ne pas laisser transparaître la pauvreté sur son visage, mais se laisser plutôt dériver comme une calebasse sur la rivière. Ainsi l’écrivain japonais Asai Ryoi décrivait-il au dix-septième siècle l’acception moderne du concept de monde flottant (ukiyo), encourageant son lecteur à abandonner l’espoir d’une récompense dans l’au-delà et à se saisir des plaisirs du présent. Jean-Claude Rousseau répond ici à cet appel, lui qui écrit par exemple dans Les Draps pliés du grand lit récemment paru aux éditions de l’Œil : « Rien de l’avenir n’est plus sûr que la mort. La plus parfaite, la plus définitive certitude. Et cependant la pensée vacille devant la mort ; en être assuré ne nous rassure pas. » Sous-titré « esquisses et croquis », ce troisième film tourné au Japon après Arrière-saison et Si loin, si proche (2016), puise sans mystère dans la tradition picturale de l’ukiyo-e. On pourra ainsi reconnaître Hokusai dans ses multiples vues du mont Fuji, ou Hiroshige dans ses paysages enchanteurs peuplé de petits personnages, bois de Nara où brament des cerfs aux bois mutilés, ponts suspendus au-dessus d’étangs pour la photo des jeunes mariés. De même, la structure du film reste fidèle à la route du Tokaïdo qui a fourni au genre ses motifs, accordant le long de lignes ferroviaires des vues de villes distantes, brèves comme un souffle, montées comme des battements de paupière. Mais c’est évidemment d’une relation plus essentielle et directe à l’art qu’Un monde flottant participe pleinement. Vivacité du trait, goût de la chronique, allégresse et inquiétude, un assentiment à l’impermanence des choses qui transparaît dans ces mouvements accidentels ou délibérés qui font vaciller les corps et les images, et qui leur donnent leur véritable justification. « Pas de nécessité à créer sans déséquilibre » ; « la création, en art, n’est qu’une suite de rétablissements ».

Antoine Thirion

Production, image, son, montage :
Jean-Claude Rousseau