L’état des lieux sera dressé à onze heures en présence de la femme du poète
Le bureau de Franck Venaille, poète et homme de radio, est progressivement vidé. Micha Venaille et Martin Verdet y trouvent une foule d’enregistrements de sa voix. La pièce devient alors le théâtre de tout ce qu’on ne fait pas dans la chambre d’un mort.
Un film « sans Franck Venaille », prévient le générique, parce que le poète est mort voilà trois ans, et que le décor unique du film est la pièce, mi-bureau mi-chambre, où il travaillait et que l’on vide de ses effets devenus par la mort autant d’archives. C’est une précaution paradoxale, qui annonce en vérité que, film sur Franck Venaille, L’état des lieux se joue sans lui autant qu’avec, autrement dit qu’il fait, comme l’annonce son synopsis, « ce qu’on ne fait pas dans la chambre d’un mort » : une séance de fantasmagorie. Car le poète est bien là, vivant, fantôme, dans la pièce identique où Martin Verdet l’avait filmé cinq ans plus tôt, sur le lit étroit à plaid géométrique et coiffé de murs obliques qui font comme une chapelle, ou un décor de Robert Wiene : ramené par la couture invisible du montage pour écouter sa femme, Micha, ou Martin Verdet lui-même, qui trient les photos, jettent, gardent, parcourent les textes ou entendent sa voix retrouvée sur bande magnétique. Ce geste proprement magique, franchement audacieux, a ceci de bouleversant qu’il n’en finit pas de déjouer l’impression que l’on bâtit là un mausolée. Les fragments agencés par le film, les chimères qu’il convoque, sont plutôt une manière de faire parler à toute chose la langue du poète – manière surtout, comme le résume limpidement Micha, de rappeler qu’une archive, aussi longtemps qu’on la manipule, est la vie même au lieu de l’image de la mort.
Jérôme Momcilovic
Lire l’entretien avec le réalisateur sur le blog Mediapart de Cinéma du réel
La Traverse (Gaël Teicher), Antropy
Martin Verdet
Martin Verdet, Philippe Grivel