Baleh-baleh
À un ami, je donne à lire un conte. Il sort de sa maison, parcourt la campagne, se répète le conte à voix haute, rejoint la mer. Et c’est ainsi qu’un tailleur de pierre, devenu successivement riche, roi, soleil, nuage, roc, redevient tailleur de pierre.
Il était une fois un tailleur de pierre qui voulut devenir riche, puis roi, puis soleil, puis roc, avant de souhaiter redevenir tailleur de pierre. En mettant entre les mains de Laurent, menuisier, un conte philosophique asiatique, Pascale Bodet fournit un prétexte à des discussions que l’on oublie trop souvent d’engager : comment vit-on et comment voudrait-on vivre ? Mimant le caractère cyclique du conte, la metteuse en scène fait se succéder auprès du menuisier trois personnages féminins : sa fille aînée, sa fille cadette, puis leur mère. Elle leur confie le rôle d’interlocutrices pour mieux jouer celui de témoin actif, infléchissant les discussions des mouvements de sa caméra. Le conte suscite des questionnements parfois tabous au sein d’une famille – sur les conditions de travail et l’argent –, génère des déclarations inattendues. La vertu opérante de la fiction lointaine est mise en exergue par une autre plus familière, celle du champ-contrechamp qui reconstitue l’espace du dialogue tout en soulignant un décalage entre l’un et les autres. Film joué, au sens le plus ludique du terme, Baleh-baleh est aussi un film marché. Comme pour faire cheminer sa pensée, Laurent avance sur les sentiers et sur la plage, entre dans le conte, qu’il reformule et se met à habiter, incarnant avec fougue les différents personnages. Mais le mouvement performatif est interrompu lorsque Joël le chihuahua dévie de la route tracée par son maître et le force à s’accorder à ses désirs. On ne peut être à la fois menuisier et roi.
Olivia Cooper-Hadjian
Pascale Bodet, Michèle Soulignac (Les Films du Carry)
Pascale Bodet
Benjamin Laurent
Pascale Bodet, Agnès Bruckert, Serge Bozon
Olaf Hund