FORMS OF FORGETTING
Deux personnes qui ne sont plus en couple depuis quatorze ans et ne se sont pas revues depuis des années n’arrivent pas à se rappeler la raison de leur rupture. Avec le temps, les souvenirs et les lieux se confondent : dans la mémoire, tout finit par s’enchevêtrer.
Que pourrait être une image juste de la mémoire ? Celle d’un grand lac gelé sous quoi nagent des bancs de souvenirs ? Celle d’un interminable rêve ? D’un champ de ruines où subsiste l’image, déformée, d’une autre vie ? De la rouille sur la charpente métallique d’un bâtiment trop vieux ? Ces hypothèses, le film et ses deux personnages en font juste assez pour comprendre qu’il n’est pas d’image juste de la mémoire, puisqu’elle-même est composée de tout sauf d’images justes. Il fallait que ces deux personnages aient formé jadis un couple, pour saisir pleinement cette évidence : priés par Burak Çevik de se remémorer, ensemble, leur relation puis leur séparation vieille de 14 ans, Nesrin et Erdem, font une mémoire commune de souvenirs distincts, dont aucun n’est faux. Car le souvenir, évidemment, n’est pas la chose même, sinon il lui faudrait aussi peu de temps pour disparaître. Mais alors : si le souvenir disparaît, la chose disparaît-elle une seconde fois ? Pour dire ce vertige infini des méditations sur la mémoire, Forms of Forgetting creuse l’air de rien une malicieuse galerie dans le temps. Car Nesrin et Erdem, devant sa caméra ou son seul micro, ne font pas que se souvenir de ces années que chacun a consigné différemment dans sa mémoire. Ils se souviennent aussi, à quelques années d’écart, de cette discussion-là, enquêtant donc sur le souvenir d’un souvenir, constatant au carré la force créatrice de l’oubli – lequel est bien, c’est là la seule certitude du film, le meilleur allié de la mémoire.
Jérôme Momcilovic
Lire aussi l’article d’Auriane Lebert.
Burak Çevik
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Zeynep Toraman
Burak Çevik - cevikburak@gmail.com