Journal d’un montage
Suivre un film en cours de montage, dans ce moment d’écriture très particulier où le film trouve lentement sa forme et son rythme, sa musique, se discute et sort des limbes. En 1994, on montait encore sur pellicule, avant l’arrivée de l’Avid, c’est-à-dire du montage numérique. Jacques Comets est de tous les plans, à la table de montage, gai et plein d’humour, heureux de travailler dans une totale complicité avec Christine Pascal. Annette Dutertre est son assistante monteuse. Par jeu, ils ont pris le parti de se filmer, sans que cela ne modifie en rien leur attitude et leurs gestes. Ces images sont restées pendant longtemps dans une boîte, jusqu’à ce que Annette Dutertre décide d’en faire un film.
La salle de montage à Joinville est une sorte de caverne, on y vit dans le noir ou la pénombre, pour le film et par le film. Le dehors n’existe pas. C’est l’antre du cinéma. Sans hors champ. Ça fume beaucoup, ça rit et ça rêve, et le film peu à peu trouve sa langue propre. Christine Pascal est radieuse, elle rit, elle rit, son rire est à répétition, elle charme et l’actrice transparaît souvent derrière la réalisatrice. Elle est d’une beauté stupéfiante. Moment magique : un matin elle arrive à la salle de montage fatiguée car elle n’a pas beaucoup dormi de la nuit. Tandis que Jacques Comets se met à sa table de montage, elle s’allonge sur un lit de camp et s’endort. C’est un moment absolument bouleversant, d’abandon total (le film peut se faire sans elle, il est dans de bonnes mains).
Adultère, mode d’emploi parlait du sexe et ce de manière osée. Au cours du montage, Christine Pascal s’amuse de l’avoir fait, et en même temps, on sent qu’elle en a peur. Jusqu’où aller, que peut-on montrer et que ne peut-on pas montrer ? Et les acteurs, comment les amener à faire des choses qu’ils n’osent pas faire ? C’est aussi pour cela qu’elle s’endort, qu’elle se retranche durant un moment du montage et du monde des adultes. Mutine et rieuse, adorable d’intelligence et de sincérité, on a du mal à croire qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre.
Serge Toubiana (blog, 13 octobre 2012)
Andolfi
Sylvie Ballyot, Annette Dutertre
Béatrice Wick
Annette Dutertre
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