Julien
« Les champs à perte de vue, c’est difficile à quitter ». Le cinéma direct a souvent fait son miel de l’impérieux désir des adolescents de s’arracher à leurs origines. Les Beauçois qu’a filmés Gaël Lépingle gardent, eux, les pieds dans les blés. Apprentis, ils évoquent la vie ouvrière qui les attend et leur convient, la famille qu’ils aimeraient fonder. Même leurs danses énergiques restent corporellement sages. Version française, pantouflarde, de l’incandescent Badlands de Terrence Malick ? Ce formatage précoce, Julien s’emploie tranquillement à le nuancer, avec un amour palpable de ceux qu’il filme. Il laisse bientôt glisser sa peau de documentaire générationnel pour faire cohabiter sans dissonance moissonneuse-batteuse et Bach, mobylette et textes de Robert Walser. « Il était une dernière fois le dernier été ». Une voix off littéraire scande à l’imparfait la vie d’un héros éponyme que l’on tarde à voir. Enfin, Julien entre dans le champ. Cantonnier et pompier, il joue dans le spectacle son et lumière de son village. Son refus de se faire « adouber », hors-spectacle, par un roi qui confond jeu de rôles et théâtre, va à l’encontre du conformisme ambiant. Limpide et énigmatique comme lui, le film le sertit dans une distance inhabituelle qui le renvoie à l’imparfait du souvenir. Sobrement lyrique, Julien balaie dans un même mouvement les préjugés sur la vie campagnarde, le passage à l’âge d’homme et le récit initiatique. (Charlotte Garson)
Bathysphère productions; Aurora Films
Benoît Quinon
Emmanuel Bonnat
Wilfried Jude
Bathysphère productions