La Fabrique du conte d’été
« Moi, j’ai l’impression que le monde existe autour de moi, mais pas moi. Je suis transparent, invisible. Je vois les autres, mais ils ne me voient pas. » (Gaspard dans le Conte d’été) Sur la plage de Dinard un dimanche, en plein juillet. Dans la torpeur ordinaire, un groupe de jeunes gens et de jeunes filles s’affaire énergiquement. Leur activité est de celles qui attirent généralement les regards. Mais personne ne semble leur prêter attention. On voit bien que ce sont des amateurs, diagnostiquera même un spécialiste, au passage. Ces jeunes gens sont flanqués d’un étrange intervenant, nettement plus âgé mais toujours en alerte ou en action. Nosferatu à la plage ? Il est protégé du soleil par d’ingénieuses constructions de tulle ou de paille, et il veille à tout : c’est lui qui actionne la claquette d’annonce à chaque plan. On le voit régir avec efficience la circulation, écarter le flot des passants à l’avancée de la caméra. Aussi retirer alertement du champ une poubelle fâcheusement disposée, ou récurer promptement la plage de Saint-Lunaire à marée basse avant la prise. Ou encore passer de la crème solaire dans le dos de la jeune actrice. Il ne hausse jamais le ton, semble parfois très hésitant. Mais sa rapidité de décision peut aussi s’avérer foudroyante. Aucune posture de maîtrise dans tout cela, bien au contraire. Aucun cinéma. (Mais on verra que tout se tient, dans cette économie.) Personne sans doute parmi les estivants inattentifs ne soupçonne que l’un des cinéastes les plus admirés, les plus célébrés, les plus commentés au monde, l’un des plus jeunes aussi, opère devant ses yeux distraits. Transparent, invisible. La Fabrique du Conte d’été est un voyage dans le film et dans ce qui tisse le film à la robe sans couture de la réalité, selon la formule canonique, mais toujours fraîche, de Saint-Bazin de Nogent. Qu’est-ce que la mise en scène ? »
Compagnie Eric Rohmer - Films du Losange
Martine Bouquin
Françoise Etchegaray