LE FILM QUE VOUS ALLEZ VOIR

Attention, le film que vous allez voir est tiré d’éléments réels du cinéma : les cartons d’avertissement qui entourent l’existence de films. Toute allusion à un formatage des mœurs sur la vie des images serait purement fortuite.

Le titre, d’emblée, convoque le souvenir de toute cette prose périphérique, visible à l’entame des films ou bien en devanture des cinémas, et vouée à exprimer à l’endroit du spectateur quelque impérieuse précaution. Il s’agit de dire que le film est, au choix : inspiré d’une histoire vraie ; déconseillé aux âmes sensibles ; l’expression d’une vision du monde qui n’engage que son auteur ; la propriété de ses propriétaires qui naturellement ne sauraient tolérer le piratage… L’accumulation de ces messages réunis ici en anthologie, tous puisés au réel et rangés le long d’une chronologie qui remonte jusqu’à la lanterne magique et au-delà, révèle plusieurs choses. D’abord que le cinéma, art fraudeur, illusion parfaite, a dû compter avec une tradition iconophobe qui n’a cessé de vouloir le policer. Ensuite, qu’il est resté envers et contre toutes ces tentatives un spectacle contrebandier, occulte et inquiétant – bref, qu’il n’a rien perdu des pouvoirs qui ont ensorcelé ses tout premiers spectateurs. Les courts extraits de films glissés par Maxime Martinot entre les cartons sont une autre manière de le dire, où le geste le plus infime a quelque chose d’une déflagration. Aussi, plutôt que se désoler de la camisole juridique où les marchands comme les puritains ont voulu enfermer le cinéma, Le Film que vous allez voir invite à se réjouir de cette puissance intacte. Rien ne le dit mieux que la présence inopinée, parmi la foule d’avertissements collectés, de deux cartons autrement plus poétiques tirés de films de Robert Bresson : le film « que vous allez voir » n’est jamais pareil à ceux que vous avez déjà vus.

Jérôme Momcilovic

Lire aussi l’entretien avec Maxime Martinot.