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Les Prières de Delphine

Rosine Mbakam
2021 Belgique, Cameroun 91 min
DR
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Le portrait de Delphine, une jeune camerounaise qui après la mort de sa mère et la démission de son père de ses responsabilités parentales, subit un viol à l’âge de 13 ans. Elle sombre dans la prostitution pour subvenir à ses besoins et celui de sa fille. Elle épouse un belge qui a trois fois son âge en espérant trouver une meilleure vie en Europe pour elle et sa fille…

La caméra de Rosine cherche à se faire une place dans la chambre de Delphine. Elle est très encombrée. Delphine aussi. Elle porte en elle une souffrance qui a des cornes, comme elle le dit si bien. En inépuisable conteuse, elle se confie depuis son lit, assise, allongée, affalée, mais toujours apprêtée. Elle choisit la malice pour transmettre l’horreur et l’humour décomplexé pour nous révéler les épaisseurs de sa vie. La rancœur contre le père, la mort de la nièce, le corps qu’on lui prend, qu’elle vend, qu’elle retrouve, qu’elle redonne. Itinéraire d’une jeune femme sacrifiée, inaudible et sans soutien, dont la survie s’est faite en acquérant les ficelles d’une pratique banale, le chacun pour soi, et d’un objectif unique, partir. En face, Rosine reste là, engagée dans un film d’écoute. Le choix est sincère et radical, pas besoin d’aller chercher ailleurs, d’illustrer ou de révéler autre chose que le visage. La cinéaste se cramponne au récit de sa compatriote qui lui conte un Cameroun bien éloigné de celui qu’elle connaît. Les mécaniques en place, les contradictions et les systèmes de domination qui se perpétuent et à travers desquels Delphine a tenté de se frayer un chemin jusqu’ici, « au paradis des blancs » où elle a trouvé autant de souffrance. De ses sordides et lucides histoires bien trop terrestres s’élève une transe finale pour pleurer sa vie passée et que seul un film de confession fait sans concession peut laisser surgir. Une dernière supplication pour que le sacré se pointe et laisse se déverser le malheur ailleurs, Delphine a assez pris. Elle rappelle un autre lit, où en sœur très lointaine, Françoise Lebrun pleurait aussi, « il n’y a pas de putes sur terre, putain, comprends-le », et en appelait à l’amour pour balayer son « sort merdique ».

Clémence Arrivé

Lire l’entretien avec la réalisatrice sur le blog Mediapart de Cinéma du réel

Production :
Tândor Productions (Geoffroy Cernaix), Tândor Films (Aimé Césaire Dimenkeu Nkue)
Image :
Rosine Mbakam
Montage :
Geoffroy Cernaix
Son :
Rosine Mbakam, Loïc Villiot

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