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La Dernière utopie, la télévision selon Rossellini

Jean-Louis Comolli
2005 France 90 minutes Italien

« Cela se passe au tout début des année 60. Roberto Rossellini, le plus célèbre des cinéastes italiens – il est considéré comme à la fois l’inventeur du néoréalisme et le passeur du cinéma moderne -, décide de se détourner de la fiction et de la mise en scène cinématographique, pour se consacrer à ce qu’il appelle « une mission nouvelle pour le cinéma ». Il s’agit d’unir les forces du cinéma et celles de la télévision pour mener à bien, à travers une série de films et d’émissions, un vaste, un immense chantier de programmes historiques mettant en récits – et surtout en images – toute l’aventure humaine, depuis le temps des cavernes jusqu’à la conquête de l’Espace, en passant par l’invention des arts et techniques (de 7.000 avant J.C. à nos jours : la maîtrise de l’agriculture, l’âge du fer, la Renaissance, l’industrialisation…). Le projet (monumental : plus de 60 heures en prévision, pour moitié réalisées entre 1963 et 1974) se rattache explicitement à l’ambition encyclopédiste du siècle des Lumières. Rossellini vise à fonder rien moins qu’un nouvel humanisme: donner aux hommes de son temps – ceux du moins qui vont au cinéma et/ou regardent la télévision – les moyens de se réapproprier leur histoire, et, à travers elle, le sens de leur vie ; de réapprendre à penser le monde et leur condition ; de retrouver capacité d’imaginer et désir de connaître ; de sortir ainsi – c’est la dimension politique du projet, lisible entre les lignes – de leur aliénation au divertissement et au spectacle dominants, à la consommation, à la publicité. […] Le cinéaste fait une confiance totale à la capacité humaine de comprendre le monde par le regard et l’écoute : confiance aux puissances mêmes du cinéma. Montrer comment vivaient les hommes d’autrefois, comment ils parlaient, se mouvaient, mangeaient, se vêtaient, etc. L’allure, le costume, les déplacements, les rituels, les ordres et les coutumes, les rencontres avec le monde qui les entoure : tout cela peut apparaître dans l’espace-temps d’un plan-séquence. Filmer les hommes en leur milieu produit un grand nombre d’informations immédiatement perceptibles et comprises par le spectateur, quelles que soient sa « culture » ou ses études. Il faut redonner le goût de «voir vraiment», de « voir par soi-même ». […] Il s’agit pour moi de rendre sensible au spectateur d’aujourd’hui le pari rossellinien d’une connaissance qui passe par la sensibilité aux formes et aux modes d’écriture cinématographiques. C’est là le centre de gravité du projet rossellinien. C’est le point le plus aigu de son utopie : supposer un (télé)spectateur non seulement avide de connaissances, curieux, ouvert à l’autre, aspirant à savoir ce qu’il en est du monde et de la science, mais, surtout, capable d’éprouver des sensations cinématographiques qui valident le déploiement des savoirs. Connaissance sensible. Ce spectateur a existé, existe toujours. Il s’agit encore de parier sur lui. » Extraits du projet de Jean-Louis Comolli pour le film, février 2005

Production :
Istituto Luce; Sky TV; Ina; Vivo Films; RAI Radio Televisione Italia
Distribution :
Ina
Montage :
Ginette Lavigne
Son :
Francisco Camino
Photo :
Michel Bort

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