River Rites
Au bord du fleuve Suriname, Ben Russell filme une baignade, un pêcheur qui tire son filet de l’eau, une jeune fille lavant du linge sur une pierre. L’unité de temps est a priori close : c’est la durée d’une seule prise, une bobine de pellicule super-16. Mais en passant et repassant ce segment qu’il avait tourné pour un précédent film et laissé de côté, le cinéaste-plasticien nous y immerge, au sens propre. Il réussit à dénouer la chronologie de ces mouvements auxquels déjà le moelleux de la Steadicam conférait une étrangeté. Et pour finir, il détourne, rien moins, le cours du fleuve. Un filet de pêcheur devient voile de mariée. C’est un procédé simple, employé dès les frères Lumière. Mais dans ce primitivisme même, Russell trouve ce qu’il nomme « les menus secrets d’un animiste saramaccan » – cette berge est d’ailleurs un lieu sacré. River Rites prolonge ainsi la série antérieure intitulée Trypps : enseigne clignotante dans Dubai, procession de branches dans Black and White Trypp number 2… La torsion qu’il applique au mot trip s’accomplit ici dans le basculement du geste vers la transe. La musique noise du groupe Mindflayer renforce la sensation de perdre pied. Par les moyens propres du cinéma, l’impossible peut advenir, et contredire Héraclite : dans River Rites, on se baigne deux fois dans le même fleuve.
Ben Russell
Ben Russell
Ben Russell; Chris Fawcett
Mindflayer
Ben Russell