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Adieu à Heddy Honigmann

Comment j’ai rencontré Heddy durant la sélection du Cinéma du Réel 1994…

par Suzette Glénadel, juillet 2022

M et M – Hiver 93 : Une journée de visionnement. Des cassettes qui s’amoncellent sur les étagères.

Journée solitaire dans ce coin de la Bibliothèque. Morne week-end de décembre… Il pleut dehors et le ciel est sans couleur. Sans couleur non plus les films qui défilent sur l’écran. Journée morose sans la moindre trouvaille, où chaque film ressemble au précédent.

Sur l’étagère les cassettes sont classées par numéros d’entrée, et je les prends au hasard, parfois pour finir une liste sur le papier, une autre fois parce que le titre me semble prometteur, une autre fois parce que le nom du cinéaste m’interpelle. Depuis plusieurs jours une cassette m’intrigue mais je ne la prends pas : sur la tranche avec son numéro d’ordre est écrit, laconiquement, M and M.

Plus intriguée ce jour-là, je la prendrais.

Et voilà, dès les premières images, la magie s’opère, je suis sûre d’être tombée sur le film qui rendra ma journée et mon travail plus doux : il est là le film que j’attendais et qui retiendra mon attention jusqu’au bout.

Ce jour, c’est une histoire qui concerne le Pérou et sa capitale Lima : sur fond de crise économique, chacun cherche à arrondir ses fins de mois et pour qui possède une voiture, rien de plus facile que d’apposer la vignette « Taxi » sur le pare -brise et de transporter ainsi des passagers.

Le dispositif de la réalisatrice est simple : chaque chauffeur qu’il soit homme ou femme, est filmé à hauteur de la vitre latérale, procédé qui pour d’autres films aurait tendance à peser de sa répétition, mais qui en fait, est étayé par la diversité des témoignages. On ne sortira de l’habitacle qu’à l’occasion de la visite au cimetière d’une

protagoniste. Plus ou moins « cabossées » comme leurs véhicules, objets d’ingéniosité et de poésie, toutes ces vies nous sont livrées avec une immense tendresse, beaucoup d’humour et de générosité par la grâce de la réalisatrice et de son humanité. Et au cours de ces rencontres c’est non seulement de l’histoire personnelle de

chacun et d’un quotidien péruvien qu’il s’agit, que de l’Histoire d’un pays.

J’apprendrais à la fin du film que la réalisatrice s’appelle Heddy Honigmann … et quelques semaines plus tard je la rencontrerai telle que dans son film, chaleureuse et enthousiaste.

« Metal et Mélancolie » obtint le Prix du Cinéma du Réel.

PS.

Il se trouve que cette même année une jeune et pimpante journaliste vint nous proposer de réaliser chaque matin une ou deux chroniques de films du Cinéma du Réel pour la radio à laquelle elle travaillait. Elle visionnait les films selon son choix et, chaque matin avec un grand art du récit etde la conviction elle en déployait en quelques minutes les éléments essentiels nécessaires pour donner l’envie de les découvrir et courir au Centre Pompidou où ils étaient projetés.

Et c’est ainsi que nous reçûmes un appel téléphonique – qui avait fait le tour de plusieurs services du Centre faute de manque de précision sur ce lieu d’accès assez difficile – d’un chauffeur de taxi parisien dont la chronique d’Elisabeth Quin le matin l’avait poussé à venir sur son temps de pose au Cinéma du Réel et au Centre où il n’était jamais entré! Une belle victoire de la communication qui nous avait réjouis et tout particulièrement Heddy!

(Photo : Heddy Honigmann, director (C) 2006 Cobos Films BV)