Aller au contenu

ABC Colombia

Enrica Colusso
2006 Italie; France 88 minutes Espagnol

Une école perdue dans la jungle, dans une zone contrôlée par les paramilitaires et voisine des FARC : les enfants qui la fréquentent ne sont déjà plus des enfants. Survivant de trafics illicites (de coca, de marijuana), ils rêvent de devenir eux-mêmes l’un de ces paramilitaires qui détruisent leurs cultures, pistent et assassinent les trafiquants – être leurs propres meurtriers. Vieillis prématurément dans un univers chaotique, sans foi ni loi, où seule la force compte, ils restent pourtant des enfants que les paramilitaires contraignent à fréquenter l’école, non par souci de pédagogie ou par amour du savoir, mais parce que l’école est un moyen facile de recenser les familles et de les contrôler. Face aux enfants, l’institutrice, originaire d’un village sous contrôle des FARC, sait qu’il n’est pas besoin d’étudier pour appuyer sur une gchette. Lasse, très lasse des tueries, d’un enseignement inutile, de risquer sa vie pour un salaire de misère, elle s’accroche à sa mission avec une énergie inébranlable, comme le noyé à la branche qui l’entraîne vers les chutes. Dès son apparition, pourtant effacée, la jeune femme porte le film comme elle porte l’école dans ce monde sans issue, en bougonnant et en traînant des pieds, avec une colère rentrée, les yeux constamment tournés ailleurs. Nous ne saurons pas les raisons qui poussent cette femme à rester, sinon qu’elle fait corps avec cette terre, mais elle agit à la façon d’un révélateur, vis-à-vis du film comme vis-à-vis des élèves et des parents. De ce monde apparemment sans règles, où ses propres jours sont comptés, elle donne les clés, à la caméra comme aux enfants ; elle leur enseigne les préceptes de base de la survie (ce qu’il convient de faire aujourd’hui pour ne pas être tué demain), et pas à pas, jour après jour, elle aménage autour de l’école un espace de neutralité qui échappe à la terreur des FARC comme des paramilitaires, où cette violence absurde peut se représenter en théâtre improvisé et les enfants comprendre qu’ils peuvent agir sur leur vie. Dans ce combat, si isolée soit-elle, toute prise de conscience est une victoire. (Yann Lardeau)

Production :
Films d'Ici; GA & A Productions; Arte
Distribution :
GA & A Productions
Montage :
Ruben Korenfeld
Son :
Oscar Ordoñez
Photo :
Enrica Colusso

Dans la même section