CARTA A UN PADRE
« La nuit dernière, j’ai rêvé que j’étais à Entre Rios… » : quand s’entendent ces mots en off, l’étang, les chevaux, la splendeur d’un paysage réel les a précédés, exauçant le rêve avant sa profération. Edgardo Cozarinsky malaxe comme à son habitude les traces, déplace les documents, cette fois-ci les papiers de son père disparu depuis longtemps et ceux de la petite colonie argentine qui l’a vu naître. Avec l’éloignement temporel mais aussi géographique (le cinéaste voyage pour la première fois dans le village paternel), une photo, une lettre se gonflent d’un romanesque vertigineux. Comment ce « gaucho juif » a-t-il osé s’engager dans la marine à 18 ans ? Que signifient l’inscription sur le sabre rapporté du Japon par le capitaine de corvette Cozarinsky ? Faut-il répondre aux questions que la mort a laissées sans réponse ? Plutôt que de refermer sur lui-même la quête généalogique, Cozarinsky l’ouvre à l’autre, à l’Histoire et aussi à l’autre de l’Histoire – comme ces indigènes qui, à l’arrivée des Européens, leur apportent spontanément du lait. Tantôt c’est un poème qui s’invite, broderie discrète dans le drap du film, tantôt un document contemporain – l’inscription antisémite sur un avis d’impôt de 2013 – évacue tout soupçon de nostalgie dans cette lettre au père lucide et testamentaire : « Mon ombre est l’ombre d’un jeune homme. Et moi aussi, je suis l’ombre d’un jeune homme ». (Charlotte Garson)
Edgardo Cozarinsky; Constanza Sanz Palacios Films; Films d'Ici
Eduardo Lopez-Lopez
Julia Huberman; Gaspar Scheuer
Lisandro Negromanti
Films d'Ici