Citadel
Filmé depuis la fenêtre de l’artiste pendant le confinement, le film associe des fragments de discours de Boris Johnson sur le coronavirus à des images du paysage urbain londonien. Conscient de la décision du gouvernement britannique de placer les intérêts économiques avant la santé de la population, John Smith déplace le centre du pouvoir en le faisant passer du Parlement au quartier financier de la City.
C’est tout naturellement que le répertoire minimaliste et malicieux des films de John Smith devait s’accommoder du carcan formel imposé par le lockdown. Conforme au répertoire rudimentaire offert par la réclusion domestique, Citadel a été intégralement filmé depuis la fenêtre de l’appartement que Smith occupe à Londres, face au district financier de la City. Un double protocole de sampling sonore et visuel lui offre de retourner l’évidence morne du paysage urbain sur un envers inattendu de fantasy noire. Métronomiquement organisées par le montage, les variations du climat transforment le quartier d’affaire en inquiétant mirage, une sorte de château de cristal aux mains d’un mage mal intentionné. Ledit mage est, lui, l’affaire de la bande son, qui découpe en extraits lancinants six discours prononcés par Boris Johnson entre mars et mai 2020. Derrière l’inconstance du boniment ministériel, l’idée fixe ultralibérale se donne ici pour ce qu’elle est : un spectre qui hante le paysage, une pulsation mécanique dont la parole politique n’est guère plus que l’alibi bouffon. Dans la voix insincère du Prime Minister, c’est bien le château lui-même (le pouvoir sans visage de la finance, résumé dans le bouquet de gratte-ciels) qui fait vibrer son sortilège. Ne reste alors du peuple, aperçu en silhouettes dociles parquées dans des fenêtres lointaines, que la vérité nue d’un enfermement dont le virus est une cause au fond bien marginale.
Jérôme Momcilovic
John Smith Films
John Smith