Für den Ernstfall
Dans La Vérité avant-dernière, Philip K. Dick imaginait des hommes qui, après avoir vécu quinze ans cloîtrés dans des abris antinucléaires, sortaient à la surface et découvraient que la guerre n’avait jamais eu lieu, et que pendant tout ce temps, ils avaient été corvéables à merci par un pouvoir qui avait fait du mensonge son principe de gouvernement. Ici c’est le scénario inverse, de la Guerre froide aujourd’hui, les Allemands de l’Ouest ont vécu au-dessus d’un monde souterrain, double opaque de leur société, le monde parallèle de la défense civile. De ces deux simulacres géants, difficile de dire lequel est le plus loufoque. L’un n’est qu’une fiction, l’autre une réalité qu’il faut entretenir au jour le jour, au cas où… Le burlesque de l’un est l’œuvre d’une imagination débridée par la consommation de substances illicites, le cocasse du second naît de la finition maniaque d’un plan ultra-rationnel, de la froideur voulue d’un commentaire réduit à une énumération de chiffres, de la distance objectivante du regard de la caméra. Des routes minées aux tunnels piégés, des blockhaus enterrés le long de la frontière est-allemande aux abris souterrains des villes de l’Ouest, des dortoirs aux hôpitaux, des cuisines aux sanitaires, des réserves de carburants aux stocks de provisions et de linge, plus le dispositif se dévoile dans sa cohérence, plus il devient irréel : ce n’était pas assez que le Mur de Berlin divise l’Allemagne en deux, il fallait encore que les deux Allemagne soient divisées en deux par une dalle de béton. L’étrangeté de cette mégapole fantôme ne devient réellement inquiétante que par ses guides : des soldats qui ressemblent à des jardiniers ou à des chasseurs, un garagiste dont le parking dissimule un abri anti-nucléaire, des paysans qui surveillent les stocks de céréales et de légumes secs, des plombiers chargés de l’entretien des canalisations : dans quel monde vivons-nous ? Dans le monde d’en bas, côté décoration, il faut bien dire que ce n’est pas terrible : néons, lits métalliques et murs blafards aux reflets jaunâtres. Mais il y a un bonus – et de taille : ici-bas, ni crimes, ni délits, ni incivilités. Pas de prisons non plus. Plus besoin d’envoyer les mauvais sujets au trou, il suffit de les renvoyer à la surface. Même le Dr Folamour n’y avait pas pensé. (Yann Lardeau)
Luethje & Schneider Filmproduktion
Ursula Scheid; Knut Karger
Boris Tomschizek; David Vogel
Petra Wallner