Kien
Kien a été chassé des Beaux-Arts de Hanoi parce qu’il était séropositif. La peinture est devenue son refuge. Ses amis essaient de lui témoigner leur compassion, mais la douleur ne se partage pas. « Si nous pleurons dans un même verre, les larmes ne se mélangent pas ». Le film est comme ces amis, il aimerait témoigner, il est convaincu que si les gens connaissaient l’histoire de Kien, ils cesseraient de le rejeter, le regard sur sa séropositivité changerait, et que si sa souffrance était mieux connue, elle s’en trouverait d’autant atténuée. Kien accepte de raconter son histoire, mais seulement hors caméra. Coupe du plan et apparition du réalisateur aux côtés du peintre. Dans le trou : l’histoire de Kien, le sujet du film. Kien refuse les larmes du cinéaste. C’est alors en rendant compte de l’erreur de sa démarche, pas à pas, que le film renaît de ses cendres, tel le phénix, et rencontre son vrai sujet. Kien dit qu’il ne peut peindre que la souffrance. Son pinceau dessine un visage qui n’est qu’un cri, puis l’ombre d’un deuxième visage: un cireur de chaussures et une prostituée. «Qui est le plus malheureux?» D’avoir souffert ouvrirait donc à la souffrance des autres. Mais là où le réalisateur voit dans l’œuvre un pont entre deux souffrances, celle du modèle et celle du peintre, et conçoit son film comme un trait d’union entre la douleur du peintre et le public, Kien, lui ne voit qu’une douleur, absolue, la sienne, qui s’est substituée à tous les aspects de la vie et qui, en le détruisant de l’intérieur, ne cesse de le séparer des autres. Sa peinture, que ses amis ne comprennent pas, ne parle que de séparation, de perte. Non seulement la douleur ne se partage pas, mais elle coupe. Elle ne sait faire que ça, séparer : de l’école, des collègues, des femmes aimées, du travail. Ce n’est que quand la coupe atteint de plein fouet la structure narrative même du film que la souffrance de Kien peut éclater. (Yann Lardeau)
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