Let Each One Go Where He May
L’ombre de “Jaguar” plane sans doute au-dessus de Let Each One Go Where He May, évocation des communautés noires qui se sont constituées à l’abri de la forêt, au Suriname. Le principe est le même : la réalité humaine d’une terre se découvre à nous à travers le cheminement de deux frères. L’affiliation à Rouch est encore soulignée par l’insertion au cœur même du film du court métrage Trypps # 6, clin d’œil à la « ciné-transe » – par le filmage en 16 mm et en longs plans-séquences caméra « à l’épaule ». Mais si pour Jean Rouch la caméra ouvre une fenêtre sur l’Autre, dans un jeu de don et de contre-don, pour Ben Russell, l’homme n’est que l’ombre de lui-même, prisonnier d’une histoire qui lui a été imposée. On ne saurait filmer une identité confisquée qu’à travers les marques de sa confiscation. Ses personnages ne se déplacent pas dans le monde réel mais sur une scène. Le premier plan, image originelle s’il en fût, est à cet égard exemplaire : plan d’ensemble, personnages au centre de l’image, dans un paysage composé d’une forêt et d’une pièce d’eau, le cadre est typique des illustrations du XIXe siècle. De l’éveil des jeunes gens à leur arrivée en ville (à leur disparition dans la cohue urbaine), nous nous déplaçons non dans le monde réel, mais à l’intérieur de catégories de la géographie humaine (la nature, la campagne, la ville, la pollution) qui structurent et codifient notre perception de la réalité – et donc aussi la prétendue spontanéité du plan rouchien. L’image aussi est une prison. Peut-on y échapper ? (Yann Lardeau)
Ben Russell
Ben Russell
Brigid Mccarffey
Chris Fawcett
Ben Russell