Mirages

Ils viennent du Mali, du Sénégal, du Niger, du Ghana… Chaque jour ils sont des dizaines à traverser le Sahara, d’Agadez à Djanet, du Niger à la Lybie, à affronter la soif, les vents de sable, la froidure des nuits, à se perdre, corps et biens, dans de multiples mirages. Il y a d’abord cet horizon derrière le désert, cette ligne derrière la ligne, au-delà du ciel et de la terre, où est supposé être l’Eldorado, l’Europe inaccessible. Il y a encore ces troubles de la perception, cette buée que sécrète l’air chaud et qui ici où là fait surgir de vastes nappes d’eau turquoise au pied des dunes de sable. Mais il y a surtout ces convois clandestins de voitures chargées de grappes humaines qui apparaissent et disparaissent dans le désert sans laisser de traces, emportés dans des tourbillons de sable, ces silhouettes emmitouflées et sans visage, ces ombres muettes et sombres, surgissant dans la nuit pour s’effacer aussitôt. Mirage encore cette illusion que l’immensité du désert supprime les frontières et rend invisibles les émigrants quand elle les expose sans défense, à la rançon et au meurtre, les met à la merci des voleurs et d’une répression policière d’autant plus brutale qu’elle n’a pas de témoins. Mirage enfin que ce regard qui, surprenant le drame de ces caravanes fantômes, n’en conserve l’image que pour l’inverser in fine en un ultime et touchant salut des intrépides à leur famille disparue. (Yann Lardeau)