Odette Robert
« Un certain nombre de raisons poussent à faire un film. A défaut de justifier l’existence d’Odette Robert, je peux parler des raisons qui m’ont poussé à faire Numéro zéro, je ne sais pas si c’était un film. Dire que j’ai été poussé à le tourner par le tourment qui me rongeait à l’époque ne va pas lui assurer un pouvoir de révélation. Je me souviens d’avoir marché dans Paris, de Montparnasse au XVIIe arrondissement, marché en pensant, comme dans une marche qui remonterait le temps. Quand je suis arrivé chez moi, ma grand-mère m’a parlé assez longuement. Et j’ai eu l’impression qu’elle me disait des choses capitales. Quand je lui ai dit : « Mais écoute, il faudrait enregistrer ça », elle m’a dit : « Mais enfin, c’est des choses qui ne sont pas jolies ». « Ça ne fait rien » ai-je répondu, « il faut enregistrer ces choses, jolies ou pas, elles sont importantes, elles sont grandes ». J’ai trouvé un peu d’argent pour acheter de la pellicule noir et blanc 16, j’ai loué deux caméras, demandé à Theaudière de tenir les caméras et à Jean-Pierre Ruh de faire le son. Et le temps du film a été le temps de la pellicule, les deux caméras marchant alternativement, en chevauchement, sans jamais couper. Alors, le film, c’était l’histoire de la pellicule, du début à sa fin. En même temps, comme à l’époque je faisais profession de cinéaste, c’était un film de cinéaste professionnel, et un film de famille, comme un film d’amateur en 8 mm tourné sur la plage. Il y avait donc là quelque chose d’incompatible. Alors, j’ai demandé à un réalisateur, Adolfo Arrietta, de faire quelques plans de rue, de filmer cinq minutes ma grand-mère et mon fils allant faire les courses dans la rue d’à côté. Pour en faire le début du film, sans son, sans rien – complètement séparé de la suite où il y a le son, et où l’image ne bouge pas. J’avais l’impression que c’était un manifeste – seulement, de quoi, je ne sais pas. Peut-être du fait qu’à cette époque je ne pouvais pas faire de film. Il s’agit donc d’une traversée du temps par une vieille femme, entre ses arrières grands-parents et ses arrières petits-enfants, et l’on voit six générations de l’histoire de France racontées par elle, Odette Robert, ma grand-mère. Dans Numéro zéro, dans l’original, je n’ai rien coupé du tout. Quant à ce que j’ai intitulé Odette Robert, ces fragments de l’autre film, je ne sais si c’est devenu un film entre temps. C’était une anomalie, limitée par le temps de la pellicule. Le fragmenter, ça revenait à inventer le montage, car opérer un montage implique un choix. Il a fallu inventer le montage et faire un choix. Mais je ne pense pas que l’anomalie originelle ait disparu pour autant. Seulement, puisqu’il fallait en couper la moitié, j’ai coupé quelques personnes. Je doutais fort que ce fût un film à l’époque, en février 71, faute de rien voir ressemblant à ça. Depuis, j’ai découvert des choses y ressemblant un peu, ce sont les émissions vidéo de Godard, qui ont été quelques années plus tard les seules choses qu’on puisse rapprocher de ça. Bien entendu je n’avais aucune intention en faisant ce film, j’étais simplement rongé par un mal, et ce film répondait à ce mal. » Jean Eustache
Ina; TF 1
Ina
Jean-Pierre Ruh
Philippe Théaudière