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Altérations / Kô Murobushi

Altérations / Kô Murobushi

Un corps en feu. Sous une tente. Une scène, peut-être. Du feu, à nouveau. Un homme au centre. Son regard fixe un ailleurs. Puis, des portraits qui s’enchaînent. Des hommes en transe. Assistons-nous à un rituel ? Sur une nappe sonore, les plans reconstituent une structure rythmique qui souligne les mouvements lents des corps. L’image, au grain analogique, disparaît parfois, faisant place à la musique seule. Le langage cinématographique s’efforce ici de retranscrire plastiquement la danse.

Durant neuf ans, Basile Doganis a suivi le travail du danseur Kô Murobushi, un maitre dans l’art du Butô. Le réalisateur matérialise cet univers où le temps ne compte plus. Lentement, mais sans faillir, la caméra immortalise avec douceur les mouvements du danseur, qui deviennent à la fois le sujet, le moment et le lieu du film. Tantôt sur scène, tantôt en extérieur, Kô Murobushi se transforme sous nos yeux. Il performe par la danse un espace où la mort et la vie se mêlent aux plus infimes tressaillements de son corps. Ses écrits, intégrés à cette mise en image plastique, viennent entrouvrir des pistes de lecture à ce qui se matérialise à l’écran. « Danser contre toute mémoire ».

Des plans de la neige, des arbres ou du brouillard, suggèrent que ces œuvres sont ancrées dans un réel qui nous entoure. Une seule interview présente Kô Murobushi hors de scène. Tout serait donc déjà présent dans sa danse et ses textes. Le dispositif du film est sobre, proposant des axes de réappropriation multiples au spectateur. Il est à l’image du travail du danseur. Assemblés, les extraits de performances produisent une nouvelle création qui se déploie selon sa dramaturgie propre et qui rejoint, elle aussi, la matérialité de nos vies.

Avant la fin du tournage Kô Murobushi s’est éteint. Ce film-hommage devient alors un acte pour contrer sa disparition. En mémoire de celui qui dansait contre la mémoire. Une dernière fois, le réalisateur performe la mort de l’artiste ainsi que sa renaissance à l’image. Dans la scène finale, la caméra suit une boîte bleue posée sur la mer. Sûrement contient-elle les cendres de Kô Murobushi, qui, porté par le rythme des vagues, s’obstine à danser.

–Lucile Irigoyen

Réalisé par Basile Doganis

Prochaine projection : jeudi 21 mars 16h10