L’Œuvre des jours
À entendre le mélange de musique et de radio qui règne dans les grandes pièces de cet atelier montréalais, on pourrait croire à la chronique burlesque d’une colocation entre sexagénaires. Pourtant, ce fouillis sonore ne dérange nullement la concentration des trois plasticiens Louis-Pierre Bougie, François-Xavier Marange et Denis Saint-Pierre. Leurs travaux suivent leur cours côte à côte depuis trente ans, en une cohabitation qui se contente de peu de mots et de quelques pauses à la cuisine. Des gestes, des techniques et des postures différentes émanent respect et harmonie. L’art ici est prié de laisser sa majuscule sur le palier. François, petite-main dans une imprimerie de taille-douce dans sa jeunesse, confie même son sentiment d’avoir trahi en passant « de l’autre côté » car c’est désormais lui que l’on imprime, comme le montre une rare excursion du film hors de l’atelier. Bruno Baillargeon ne filme pas trois égos créateurs mais trois artisans inspirés parfois par un art autre que le leur (Louis-Pierre, dont la prochaine gravure accompagnera un poème de Marie Uguay). Bientôt le tâtonnement artistique se double d’une déroute des habitudes amicales, bouleversées par l’aggravation de la maladie de François. Le parallèle établi par le film entre l’aspect le plus artisanal de l’art et la patine du temps sur trois existences réunit dans L’Œuvre des jours les qualités contradictoires de la gravure : tranchant et infinie douceur. (Charlotte Garson)
René Roberge
Bruno Baillargeon
Bruno Baillargeon
Les Vues du Jardin