Huahua’s Dazzling World and its Myriad Temptations
Huahua, une femme excentrique et pleine d’énergie originaire de la nouvelle zone urbaine de Xiong’an, se filme en direct sur Internet en train de danser, chanter et discuter avec ses fans. C’est ainsi qu’elle gagne sa vie. Les écrans des téléphones, les filtres beauté et les paysages sonores numériques révèlent un monde que Huahua crée avec sa propre image.
On découvre Huahua accroupie dans une pièce spartiate, lavant du linge et de la vaisselle dans une bassine. Tous les jours, elle doit aussi faire la cuisine pour un mari exigeant. Entre deux tâches ménagères, elle part danser sur une place, téléphone en main, et diffuse des vidéos sur Kuaishou, réseau social qui a les faveurs de la Chine rurale. Les commerçants du coin la payent pour venir animer l’entrée de leur magasin et annoncer les promotions du moment. Le spectacle se poursuit autant que possible à la maison, où tous les membres de la famille sont mis à contribution pour produire toujours plus de contenu.
C’est donc l’histoire de la collision brutale entre une domination immémoriale et les dernières technologies de marchandisation des individus. Huahua semble prise en étau entre deux tyrannies : celle du patriarcat et celle des algorithmes. Il lui faut s’épuiser à peler, trancher, frotter, mais aussi s’échiner à proposer un divertissement populaire. Cette femme volubile à la voix rocailleuse s’abandonne tout entière à des besognes qui l’engagent corps et âme, en pleine conscience de ce qui l’anime : n’ayant pu choisir sa voie faute d’avoir pu aller à l’école, elle est déterminée à permettre à sa fille d’étudier, et ainsi de vivre plus librement qu’elle. Offrant un point de vue oblique sur les réalisations de Huahua par le truchement de sa caméra bienveillante, Daphne Xu organise une confrontation saisissante entre la matérialité de son existence et les images filtrées qui lissent et griment virtuellement ses traits. Le monde sucré-glacé des illusions numériques agit alors comme un révélateur qui rend au réel toute sa rugosité.
Olivia Cooper-Hadjian
Sensory Ethnography Lab
Eric Masunaga, Modulus Studios
Daphne Xu
daphne.y.xu@gmail.com