Lago Gatún
Lago Gatún est un voyage du sud vers le nord en traversant le canal de Panama.
Achevée en 1914 au terme d’un chantier insensé, la construction du canal de Panama a coûté la vie d’une quantité innombrable de travailleurs noirs venus des Antilles. Sans en faire explicitement le rappel, ce nouveau film de Kevin Jerome Everson, qui tient son titre de l’immense lac artificiel composant la majeure partie du canal, traverse ce dernier au rythme qu’imposent aux navires ses écluses successives. Requis muettement par l’histoire des morts ensevelis sous l’éloge du progrès, ce voyage raccompagne avant tout le spectateur à la source vive du cinéma, fidèle en cela au geste prolifique et toujours plus net du cinéaste. Cristallisé dans le grain vibrant de la pellicule 16 mm (six bobines noir et blanc de 10 minutes chacune, coïncidant presque parfaitement avec les étapes de la traversée), ramené par elle à un ensorcelant roulis de ténèbres et de lumière, le spectacle de la traversée tient ici du pur traité d’optique. Plusieurs fois avalé par l’ombre (où l’oreille reste seule à saisir le substrat documentaire du voyage) et aussitôt rendu à la lumière, le spectateur traverse les écluses du lac comme autant d’obturateurs, autant de paupières, voués à lui rendre chaque fois la mesure des puissances de son regard.
Jérôme Momcilovic
Trilobite-arts DAC, Picture Palace Pictures
Anna Brotman-Krass, Elizabeth Culbertson, Anthony Restivo
Kevin Jerome Everson
picturepalacesale@yahoo.com