Noche herida
« Âme de paix et de guerre, âme de mer et de terre, que tout ce qui est absent ou perdu me soit rendu ou m’apparaisse…» Cette prière murmurée ouvre le troisième volet de La Campagne racontée, trilogie de Nicolás Rincón Gille sur la tradition orale colombienne confrontée à la violence. Blanca, qui a fui sa campagne en famille sous les coups des paramilitaires, s’occupe de trois de ses petits-fils dans une bicoque des abords de Bogota. Selon la tradition catholique des « âmes bénies », elle prie pour ses morts en échange de leur aide aux vivants. Ce n’est pas cette croyance qui intéresse le cinéaste mais l’armature symbolique qu’elle procure à cette femme « déplacée » qui depuis tient toutes les places, la mort de sa fille l’ayant transformée en mère majuscule. Toujours placée en des points de passage ingénieux, la caméra souvent fixe et en position basse confère à son quotidien
sa pleine mesure, sans misérabilisme ni hiératisme. Craignant à raison de voir ses petits-fils partager le destin du plus grand nombre (délinquance ou recrutement par un groupe violent), Blanca s’impose dans leurs moindres activités. Quand elle écoute de la bouche de Camilo une rédaction où il relate les violences qu’a subies sa famille, on se demande dans quelle mesure elle ne lui a pas dicté le récit. De quoi l’enfant se souvient-il? Et quelles images encore vivaces trompent Blanca sur la nature des pétards entendus un soir de fête ? À quelle « nuit blessée » renvoie ce siège imaginaire ? (Charlotte Garson)
Cédric Zoenen
Vincent Nouaille
Nicolás Rincón Gille
voa films / RTBF / Medio de Contencion producciones / CBA - Centre de l’Audiovisuel à Bruxelles
CBA - Centre de l’Audiovisuel à Bruxelles