Polycephaly in D
Une exploration de la dérive existentielle, du traumatisme collectif et de l’état de désarroi caractérisant l’époque contemporaine. Sauter, tomber et trouver son nouveau moi en un tremblement de terre ; on perd une tête pour qu’une nouvelle repousse.
Des émotions violentes, on dit en anglais qu’elles déchirent la terre. En français, qu’elles bouleversent, comme une pierre dévale une pente en roulant sur elle-même. Puisque la volonté seule échoue à les arrêter, il faut les rejouer jusqu’à rompre et inverser le mauvais sort. Le nouveau film du cinéaste américain Michael Robinson épouse la forme de telles secousses. Deux hommes y communiquent par télépathie. Deux anciens amants, ou peut-être les deux corps d’un homme dissocié. La gravité cloue le premier au sol d’un désert californien, le second flotte dans le bleu miroitant d’une piscine de Los Angeles. Un dialogue de sous-titres rétablit une communication rompue. Quand l’un demande à traverser la paroi qui les sépare, un glissement de terrain s’ensuit. Fonctionnant comme toujours à partir d’images d’emprunt au cinéma, à la télévision et à internet, patiemment collectées en une archive personnelle et montées au fil des films et des ans, associées à des plans originaux et à des versions orchestrales de morceaux pop (ici, le Golden Slumbers des Beatles), Robinson organise un déluge visuel aussi rigoureux qu’intense, dans un montage à distance magistral qui n’est pas sans évoquer Pelechian. Le motif polycéphale donne temporairement aux convalescents un corps monstrueux, tandis que la tonalité en ré, traditionnellement associée aux émotions solaires, énergiques et lancinantes – « la clé du triomphe, des alléluias, des cris de guerre, des réjouissances de la victoire » selon les musicologues – déplace la douleur sur la gamme du salut. « Si nous devons guérir », disent les derniers dialogues, « que cela soit glorieux ».
Antoine Thirion
Michael Robinson
robinsonfilms@gmail.com