Tout ce qui était proche s’éloigne
Mon ami Xiaoxin a contracté une maladie oculaire. Il a perdu progressivement la vue à partir de ce moment-là. En 2015, il était devenu complètement aveugle. Il m’a dit que ce noir complet lui faisait peur. J’ai compris que mon ami était en route pour quelque part.
C’est l’histoire d’un voyage, d’un crépuscule à un autre. Des enfants jouent dans une cour. Par leur façon de se mouvoir, on finit par comprendre que la vue leur fait défaut. Les récits de personnes aveugles décrivent des perceptions exacerbées (celle des masses) ou bien complètement absentes (« pas du noir : un cratère sans fin »). Une voix leur répond, celle de Yunyi Zhu, qui a connu dans l’isolement imposé par le Covid un monde privé de certaines dimensions : un extérieur visible et audible mais inaccessible au toucher ; des fruits tactiles, mais sans goût ni odeur. Cette expérience fait dériver le film, de l’enquête à la poésie, du témoignage à la scansion, avec en fil rouge l’histoire d’un autre crépuscule : la cécité qui gagne un ami. Le cinéaste assemble des images amputées d’une part des données qu’elles devraient véhiculer : un globe flou des mots qui le recouvrent, un tambour de son son, des arbres saisis à contre-jour de leurs couleurs. Il accumule les paradoxes, telle celui d’une amitié qui subsiste malgré la distance qui sépare la France de la Chine. Les mots, parlés, écrits, imprimés en caractères latins ou en braille, font office de passages entre les dimensions. Leur capacité de transmutation aménage un espace commun. Alors que le crépuscule d’ouverture montrait une forme instable se désagréger progressivement, le film se ferme sur la disparition brutale de l’astre solaire. À la faveur d’un cut, le rougeoiement cède la place à la plénitude du bleu, mais celui-ci résonne encore de la vibration d’un instrument silencieux.
Olivia Cooper-Hadjian
Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains
Raphaël Rueb
Raphaël Zucconi
Yohei Yamakado
Yuyan Wang
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