Agrilogistics
Dans la journée, la serre est un véritable outil cinématographique, un décor de film automatisé, optimisé pour la production en série de fruits et de fleurs. La nuit, l’usine s’arrête : entre intérieur et extérieur, la serre devient un espace onirique où plantes, animaux et machines s’enchevêtrent.
Le tapis roulant, l’espacement parfaitement régulier des choses qui y défilent, le chuintement métallique qui berce leur passage, tout cela commande à l’intuition de reconnaître ici une scène industrielle. Les plans suivants, d’ailleurs, avec leur symétrie colorée propice à l’hypnose, ramènent à l’esprit les images d’un beau film qu’avait consacré Alain Resnais à l’industrie du plastique il y a plus de soixante ans – Le Chant du styrène. Deux éléments détonnent : sur le tapis, les choses sont des bulbes ; tout autour, des caméras veillent, aidées dans les coins par de larges réflecteurs qu’on verrait plus à leur place dans un studio de cinéma. On est en vérité dans la zone de triage d’une serre industrielle, aux Pays-Bas. Les caméras et les ordinateurs qui les prolongent sont là pour garantir la bonne marche agro-industrielle des choses : que chaque bulbe de fleur, chaque tomate, ait la dimension et la forme requises par les standards. L’homme ici a disparu (comme chez Resnais, n’en subsistent que des mains gantées d’ouvriers pour seconder les robots), et la nature elle-même semble un lointain souvenir. Pourtant, la nuit venue, comme en cachette ou par un rêve malicieux, la voilà qui revient et fait son nid sous les charpentes de métal, indifférente aux bras hydrauliques qui continuent leur travail, eux-mêmes impassibles mais ressemblant soudain à une forme de vie parallèle dans une étonnante fantaisie de science-fiction.
Jérôme Momcilovic
La Capella, BCN Producció
Gerard Ortín Castellví
Oriol Campi Solé
Maddi Barber, Mirari Echávarri, Gerard Ortín Castellví
gerard.ortin@gmail.com