Kurz davor ist es passiert
Si longues que soient ses dents, si aiguisés que soient ses ongles, une créature grandguignolesque n’a jamais fait peur au cinéma. L’angoisse vient d’ailleurs : une lumière sous une porte, une ombre qui traverse le champ, une maison inhabitée, un bruit lointain, trop de silence, autant de procédés dérisoires que l’immensité de l’écran dissimule tout en amplifiant l’effet. Kurz davor ist es passiert est construit comme un thriller. D’un côté, des scènes de la vie quotidienne, où chaque jour qui se lève ressemble au précédent, de l’autre, le regard insistant d’une caméra dont les mouvements, l’ampleur du champ, le jeu sur les lumières, les couleurs et un fond obscur, une économie rigoureuse des bruits et de la musique, suggéreront constamment un ailleurs invisible. Une ombre rôde… Nous ne voyons pas comme nous le devrions ces images d’une grande banalité, car leur fond est atroce : cinq récits d’enlèvement et de séquestration de jeunes femmes d’Europe de l’Est ou d’Afrique, qui se bouclent sur eux-mêmes. Nous ne verrons jamais ces jeunes femmes, disparues dans la nuit, derrière l’épaisseur et la respectabilité des maisons, dans les coulisses et les corridors troubles des boîtes de nuit, la cohue de la ville, l’infinitude de la plaine, le flux continu des autoroutes, nous entendrons seulement leur récit à la première personne dit tour à tour par un douanier, une démarcheuse à domicile de produits cosmétiques, le directeur d’un night club, madame la consul d’Autriche au Cameroun, un chauffeur de taxi. Faire tenir la parole de prostituées ou de filles perdues par des hommes et des femmes qui, socialement ou professionnellement, présentent tous les signes de l’intégration et de la réussite, était un pari extrêmement risqué, mais le résultat est à la hauteur de l’audace : la conjugaison de cette caméra mouvante et tournante, de ces sons lointains et étouffés et du statisme des scènes amplifie l’effroi de la disparition, le sentiment irrémédiable de l’absence, puisque de ces jeunes filles, ni dans le paysage, ni dans les actes de la vie quotidienne, il ne reste rien, aucune trace, pas même le son de leur voix, juste quelques mots d’adieux. Tout a été effacé de leur passage. (Yann Lardeau)
Amour Fou Filmproduktion
Frédéric Fichefet; Gregor Wille
Eric Spitzer
Jo Molitoris