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Nachtlied

Baptiste Pinteaux
2022 France 73 min

Après avoir longtemps rêvé d’une vie faite de grandes histoires d’amour et de sentiments légendaires, la mère de ma mère s’est installée seule dans une maison où elle dit n’avoir jamais été aussi heureuse, entretenant une aventure avec la nature qui elle, quand elle s’en fout, au moins ne le lui dit pas.

Dans les yeux de son petit-fils, Manette, belle femme aux longs cheveux blancs, apparaît comme une princesse de conte de fées. Recluse au fond des bois, elle vit en harmonie avec « les choses » (plutôt que « la nature », indique-t-elle), écoutant le bruit du vent dans les tilleuls et des airs d’opéra qu’elle sut chanter jadis. Baptiste lui demande de raconter sa vie, ses amours, ses peines, à toute heure du jour et de la nuit, dans le salon ou sur la terrasse surplombant un pré. Elle évoque des déceptions, le désir et sa dissolution, les rêves illusoires. Baptiste la regarde broder, l’écoute lire de vieux journaux intimes, lit lui-même un conte qu’elle a écrit. Il tord la perspective pour accueillir cette femme dure et majestueuse dans ses cadres, pour faire entrer plus de choses auprès d’elle. L’indéfinition de la photographie DV nimbe d’un voile vaporeux le bric-à-brac domestique, décor baroque qui apparaît tantôt comme un écrin, dans lequel Manette semble confortablement engloutie, tantôt comme un piège qui l’enserre. Le film impose un rythme à la fois fluide et heurté : de longues plages de récit et de musique se déploient avant d’être interrompues par des cuts brutaux. Ces ambiguïtés sont à l’image du personnage lui-même, qui a développé le don de nier la mort pour esquiver la douleur, au risque de paraître monstrueux à ses propres yeux. Très jeune, Manette avait déjà vu clair en elle-même : « Je ne veux pas de mari – il me décevrait –, ni d’amant – il me tromperait –, je veux un ruisseau et une prairie. » Sa vie actuelle apparaît alors comme l’accomplissement d’une prophétie, et sa maison, comme un microcosme aux dimensions mythologiques.

Olivia Cooper-Hadjian


Lire l’entretien avec Baptiste Pinteaux

Baptiste Pinteaux

Baptiste Pinteaux est éditeur et chercheur indépendant. Il dirige la maison d’édition Daisy et la revue Octopus notes. Nachtlied (2022) est son premier film. Il a participé à l’écriture de Des Jeunes filles disparaissent de Clément Pinteaux (2018) et jouait dans Liberté d’Albert Serra (2019).

Production :
Baptiste Pinteaux
Son :
Toco Vervisch
Montage :
Laura Rius
Contact copie :
baptistepinteaux@gmail.com

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