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NAVIRE EUROPE

Marina Déak
2023 France 1h26 Langues : allemand, anglais, français

Trude était ma grand-mère. Une femme admirable, une rescapée, une femme terrible. Volonté impérieuse de la survie. Je refusais de la filmer. Je ne voulais pas entendre parler de mort, je voulais la vie, je voulais être libre. Je ne la filmerai pas, jamais. Et puis, au dernier moment, je l’ai filmée.


Trude dit une chose, puis son contraire. Ces aberrations sont-elles seulement le fait d’une mémoire défaillante ? Ou bien cette femme met-elle au défi le sens et la raison ? Marina Déak l’interroge aussi frontalement que possible, mais l’entretien ne fait que matérialiser une opacité. Son image de vieille dame paisible ne peut rendre compte de la femme qu’a été Trude, rescapée d’Auschwitz ayant par la suite survécu au suicide de son fils – le père de la réalisatrice. Pour aborder ce personnage aussi inattaquable qu’effroyable, sa petite-fille ne peut que tourner autour, et tenter de s’affranchir des fantômes du passé en s’exprimant au présent. Un récit nécessaire advient, élaboré par le montage, bien après la disparition de la survivante. À la parole de celle-ci s’oppose la voix de la réalisatrice, urgente, comme poussée en avant, elle aussi, par quelque pulsion de vie, tandis qu’à une archive où l’on voit la rescapée raconter mécaniquement des épisodes de son expérience des camps répondent des récits de rêves. Ils convoquent cet inconscient où se logent les vécus traumatiques, dont le film semble vouloir enrayer le mécanisme de transmission. Si les scènes filmées en famille donnent parfois l’impression que ses membres effectuent des actions qui ne leur appartiennent pas – privées de leur contexte, elles paraissent suspendues – le film chemine peu à peu vers une présence plus entière des corps et de la lumière, au dehors. Une question subsiste : la nouvelle génération sera-t-elle épargnée par la catastrophe, ou devra-t-elle la subir de plein fouet ? En attendant, dans une Europe qui perd de nouveau son cap, un film-navire trouve le moyen de tromper la mort.

Olivia Cooper-Hadjian

Lire aussi l’entretien avec Marina Déak


Marina Déak

Marina Déak intègre le monde du cinéma, parallèlement à ses études en philosophie, chinois et sciences politiques. Elle travaille comme régisseuse, photographe de plateau, participe à des lectures de scénarios, puis écrit, réalise et joue au sein des œuvres fictionnelles qu’elle compose. Elle travaille le genre documentaire tout comme la fiction.
En 2011, Marina Déak réalise un premier long métrage, Poursuite, un film sur la séparation et la liberté de refaire sa vie que l’on soit homme ou femme, père ou mère.
Pour le documentaire Si on te donne un château, tu le prends ? sorti en 2017, la réalisatrice offre une réflexion sur l’habitat contemporain. Elle examine tour à tour les modes de vie distincts de campeurs à l’année, d’habitants de pavillons dans la Nièvre et d’une cité utopique de banlieue. Le documentaire s’intéresse au phénomène de ghettoïsation de la société.

Production :
Les Films du Carry (Michèle Soulignac)
Image :
Alexis Kavyrchine, Marina Déak
Son :
Thomas Fourel
Montage :
Agnès Bruckert
Contact copie :
Les Films du Carry - greg@lesfilmsducarry.com

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