Bagatela
Vu du ciel, le palais de justice est une forteresse. D’ailleurs, il n’y a pas de façade. Comme si une fois franchi le seuil de ce hall immense, on ne pouvait plus en sortir. A l’intérieur, c’est un dédale d’escaliers, de couloirs, de locaux impersonnels où des femmes de ménage s’activent en permanence. Dans ce labyrinthe de la justice colombienne, où tout a été conçu pour égarer davantage encore les âmes égarées, elles seules trouvent leur chemin. Les affaires qui sont jugées ici concernent des délits mineurs, des « bagatelles » : vols de portables, de parfum à 7 €, d’un câble de téléphone… Les prévenus ont le même profil : jeunes, misérables, sans logement, confrontés à des situations familiales dramatiques. En face d’eux, des avocats commis d’office, traitent les dossiers à la chaîne. Ils ont la solution miracle : le « plaider coupable » qui réduit de moitié les peines parce qu’il évite à l’État colombien les frais d’un procès. Cette défense est un piège : les malheureux ont toutes les chances de retomber entre les griffes de la justice. Au-dessus de la mêlée, inaccessible, tirant les ficelles du destin, une voix sans corps qui enchaîne les questions sans laisser le temps de respirer, le juge omniscient et omnipotent. Tandis que dans les étages, les femmes de ménage balaient, brossent et briquent pour effacer toutes ces traces contagieuses de doigts criminels, au sous-sol, dans leur cellule, les délinquants peuvent toujours s’évader en regardant un reportage télévisé sur le 3e Salon des Riches à Moscou, « où les pierres précieuses siéent autant aux châssis de voitures de luxe qu’aux femmes ». (Yann Lardeau)
Gusanofilms
Carlos M. Gómez-Quintero; Jorge Caballero
Jordi Rams
Christian Bitar
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