IF YOU DON’T WATCH THE WAY YOU MOVE

Derek « Dripp » Whitfield Jr. et Taymond « ChoSkii » Hugues, du collectif musical BmE, composent et enregistrent leur dernier titre, intitulé « Shiesty », dans le studio de Jermaine « Country Blakk » Hugues à Colombus (Mississippi) – jusqu’à ce qu’une pièce de John Cage vienne interrompre leur session.

Annoncée par la courte description que Kevin Jerome Everson donne de son film, la présence ici d’une célèbre pièce musicale de John Cage ne saurait être plus discrète, ni paradoxalement plus explicite. La citation est surtout parfaitement rigoureuse : elle dure précisément 4’33 minutes. De part et d’autre, la musique, saisie sur le vif d’une séance d’enregistrement, est celle d’un groupe de Southern rap dont la présence se fond le plus naturellement du monde dans l’hommage. Et comme la pièce originale, cette habile et fortuite ????? citation est beaucoup plus qu’une simple astuce conceptuelle. De même que l’œuvre de 1952 rendait à l’oreille de l’auditeur un pouvoir perdu (écouter le silence, le reconnaître comme musique), ce segment à la fois annoncé et caché de If You Don’t Watch the Way You Move entend redonner au spectateur toute la conscience de son regard. Et de même que chez Cage cela n’était possible qu’en s’appuyant sur les règles strictes de la représentation (le pianiste qui salue, s’installe, relève le couvercle du clavier, pour le refermer précisément 4’33 minutes plus tard), ici la place du moment d’observation pure, « cagienne », est choisie avec une grande précision. Lui aussi borné par le contexte (de chaque côté, le refrain incessamment répété qui donne son titre au film, et qui par un genre d’effet Koulechov vient embrumer ce segment central d’une légère et grisante mélancolie), il offre une fois de plus à la filmographie pléthorique de K. J. Everson un moyen de réinventer purement et simplement l’art du portrait.

Jérôme Momcilovic